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Fascination : le mot résume la ligne directrice et la force de motivation    
de l'oeuvre de Roos Campman, à savoir représenter des êtres qui fascinent, 
ou encore représenter des êtres eux-mêmes fascinés par la fascination 
qu'ils exercent. 
 La fascination est le moteur de la société contemporaine. Warhol le 
premier l'a compris et l'a mis délibérément en acte, dans son travail 
(l'icône de Marilyn suffisant à faire oeuvre) comme dans son mode de vie 
(toute la Factory se nourrissant de la fascination exercée par l'artiste 
comme de celle que lui-même éprouvait pour sa cour). 
 Les peintures de Roos Campman représentent des visages de femme. 
Ce pourraient être des photographies de mode ou des clichés de people 
volés par des paparazzi. En réalité, la source - qu'il s'agisse d'amies de 
l'artiste ou d'images de magazine - n'importe guère : compte avant tout 
la figure élégante, lumineuse, arrachée à tout contexte. Nous sommes ici 
dans un monde de masques immobiles, froissés parfois par une émotion 
fugace, un monde de sphinx hiératiques, d'idoles précieuses.
 Les visages sont représentés en quelques lignes : l'ovale parfait des 
contours, les lèvres délicatement dessinées, l'échancrure étroite des 
narines. Le regard est généralement masqué par des lunettes noires, 
l'ombre du chapeau, ou encore par la frange blonde caractéristique d'une 
coupe de cheveux glamour. Le détail du regard caché dans l'ombre n'est 
pas anodin, comme si la jeune femme dissimulait ce qui risque de révéler 
sa personnalité. De fait, derrière les quelques accessoires de mode et les 
traits stéréotypés, se tient le désir d'abdiquer sa personnalité propre dans 
l'espoir d'apparaître telle une idole enviée du monde contemporain. 
 La vulnérabilité de ces femmes est extrême, puisqu'elles sont 
contraintes, pour continuer à exister dans le fantasme des autres, à porter 
ce masque lisse et sans faille apparente. C'est à ce titre que l'on peut 
interpréter la technique - relativement rare - employée par Roos 
Campman, à savoir la tempéra à l'oeuf. Celle-ci confère à la facture de 
l'oeuvre une transparence et une fragilité qui convient au sujet. Derrière les 
visages, aucun frémissement ne semble passer, parfois la vacillation d'un 
doute, la ride fugace d'une humeur, mais guère plus. Quelle volonté, quels 
aspirations, quelles colères dorment derrière ces visages ? Derrière la 
peinture proprement appliquée, rien ne bouge. 
 Lorsque le visage se découpe sur un fond bleu, on songe à Baudelaire 
écrivant de la Beauté, qu'elle « trône dans l'azur », énigmatique « rêve de 
pierre ». Certaines peintures, en revanche, associent deux visages: l'un 
près de l'autre, ils ne laissent pourtant rien percevoir des sentiments que 
les jeunes femmes pourraient partager. Les émotions dorment sous leurs 
figures sans défaut comme la Belle au Bois dans son château féerique.
 Pourquoi, a-t-on envie de demander, l'artiste a-t-elle choisi de peindre 
ces figures ? Pourquoi ne pas les laisser au papier glacé des magasines ? 
Sans doute parce que la peinture seule, avec ses qualités charnelles, est 
susceptible de nous laisser deviner le sang et les sentiments bien humains, 
assoupis seulement sous la transparence de la peau. 
 
 
Anne MALHERBE
11 mars 2007
 
Texte écrit par Anne Malherbe, historienne de l'art, à Normale Sup' et à la Sorbonne. 
Anne Malherbe se consacre à la critique d'art dans Art Press ou encore dans 
de nombreux catalogues d'exposition.
 
Copyright Anne Malherbe
Critique d'art, ENS-Ulm
 
 
 
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